Démocratie avec ou sans parlement?

Avez-vous vu le génie helvétique, l’excellent film de Jean-Stéphane Bron qui vient de sortir dans les salles? Beau travail, qui rend avec vérité la nature passionnante et fragile de l’activité parlementaire. Avez-vous consulté les récents palmarès qui tentent d’évaluer l’efficacité de nos représentants? Bel effort, qui vise à nous permettre d’affiner nos choix. Ce pays réaliserait-il qu’un parlement est le seul creuset qui puisse transmuter les bouillonnements populaires en décisions codifiées et démocratiques? Cette Suisse qui garde en filigrane la nostalgie des Landsgemeinde alpestres percevrait-elle enfin la représentation nationale comme une valorisation du suffrage universel? Réponse incertaine, puisque simultanément des tendances lourdes rongent la légitimité des Chambres fédérales.

D’une part, le courant néo-nationaliste qui domine l’opinion porte aux nues la démocratie directe. Sa suprématie face à tout autre mécanisme démocratique semble indiscutable. Sa supériorité morale sur le parlement paraît naturelle. Sa sacralisation est si profonde que la volonté intangible du souverain et la manière contingente dont elle s’exerce sont confondues. A tel point que la démocratie directe finit par être placée au-dessus de l’état de droit qu’elle a engendré et qui au demeurant la fonde. Le débat sur les naturalisations par votation montre où nous entraîne cette dérive.

D’autre part, la promotion d’un gouvernement à la proportionnelle révèle aussi une forme d’escamotage des élus. Comme si l’expression démocratique devait sauter de la base au sommet sans que les notions de programme et de majorité soient décantées à l’échelon parlementaire. Au fond, pourquoi ne pas extrapoler ces deux tendances et supprimer le parlement? Elisons vingt-cinq Conseillers fédéraux, chargeons-les de légiférer et votons régulièrement sur le résultat de leurs travaux! Suggestion populiste et absurde, certes, mais qui dit les paradoxes dans lesquels se débattent nos institutions.

Suspendu au milieu des courroies de transmission tendues par la démocratie directe, le parlement suisse oscille sans trouver sa place. Tantôt aspiré vers le haut, il se borne à suivre les positions du Conseil fédéral. Tantôt collé au terrain, il se cantonne dans la défense des intérêts locaux et des catéchismes partisans. Dans tous les cas, ses conditions de travail sont précaires et son statut amateur.

Il règnera toujours une tension entre les parlementaires et un peuple dont ils tiennent leur mandat mais qui peut les désavouer en permanence. Veut-on qu’elle soit féconde ou destructrice? Quelles sont les options? Un parlement fort couplé avec des réformes de la démocratie directe et un gouvernement de coalition? Ou une démocratie directe triomphante dont les référendums et les initiatives deviennent les seules valeurs politiques reconnues? Au moment de renouveler la composition du législatif, l’examen de son rôle est une question clé. La preuve, elle n’est pas posée.