Luxe, calme et volupté

Au sortir de la dernière rencontre des partis gouvernementaux, Félix Gutzwiller, médecin et vice-président du groupe radical, a posé un diagnostic précieux sur la décomposition helvétique. En admettant qu’il n’y pas d’accord sur une interprétation commune de la concordance, il a montré que la société suisse n’a plus de langage institutionnel commun.

Quand nous disons politique, programme, peuple, parlement, gouvernement, concordance, majorité, opposition, représentation, démocratie, nos mots ne veulent plus dire la même chose. Nous ne nous comprenons pas. Nous ne nous entendons pas. D’un journal à l’autre, d’une région à l’autre, d’un élu à l’autre, les institutions diffèrent. Insaisissables, elles se dérobent. Elles ne portent plus les débats qui tombent dans le vide. Comment orienter la vie de la Cité si les règles qui la fondent disparaissent?
S’en remettre au peuple? Mais il nage dans l’angoisse. Divisé, cloisonné, émietté par les multiples votations, il en appelle aux extrêmes par soif de réponses. Avant de l’interroger, il faut un projet à lui soumettre. Supprimer les interrogations? Serrer les boulons? Croire aux hommes forts? La clarté ne se décrète pas. Les doutes ne se mettront pas aux ordres du nationalisme. A l’inverse, enrober d’amour les malentendus ne ramènera pas le bon vieux temps des valeurs alpestres. Se bercer d’harmonie ne prolongera pas d’un jour la vie de structures déchues. Si, en télévision, la fin justifie les mayens, en politique, l’enjolivement est une omerta sans effet.

J’ai fait un rêve, qui invite au voyage.

D’abord, nous nous offrons le luxe de la discorde. Sur les idées naturellement. Dans les partis, les associations, les médias, nous discutons sans réserve. Sans crainte des chocs ni des cris. Méthodiquement, le système est mis en pièces. Les rouages sont étalés sur la place publique. Et pour chaque élément, chaque mécanisme, nous tentons une approche critique de son histoire, sa nature, sa fonction, son usure, son avenir.

Puis nous instaurons une Constituante. Riches d’un luxe d’analyses préalables, les acteurs opèrent avec calme. Voulons-nous un système lié aux traditions de 1291, dans l’esprit de 1848 ou tourné vers demain? Quelle finalité pour notre démocratie? Quel moteur pour la propulser? Quelles rénovations pour la remettre en mouvement? Avec sérénité, de nouveaux repères sont tracés, d’autres confirmés.
Vient alors le temps de la volupté. Celui du désir des désirs partagés. Celui d’une cohésion progressive autour de règles lisibles dont le sens est connu. Certes, les divergences politiques demeurent. Heureusement. Mais la Constituante et ses réformes ont donné cette « interprétation commune » évoquée par M. Gutzwiller qui permet aux désaccords les plus vifs de s’exprimer au moins dans une langue commune.

Je sais. Ce n’est qu’un rêve. Loin du réel. Mais je le revendique. Je garde la vision de ce voyage, sachant l’immobilisme exacerbé qu’entraîneront de toute façon les changements du 10 décembre.