La victoire des cantons relance le fédéralisme mais aussi sa réforme

Indéniablement, le rejet du paquet fiscal constitue une victoire des cantons. Au terme d’une campagne vigoureuse, les Etats fédérés ont gagné leur premier référendum. Certes, ils n’étaient pas seuls dans la bataille, mais leur intervention a joué un rôle décisif. Dans trois domaines clés de la formation de l’opinion, ils ont nettement pris l’avantage. Leur message qui mettait en lumière les liens existant entre recettes fiscales et prestations aux habitants avait le mérite de la clarté. La crédibilité et la bonne foi des Conseillers d’Etat chargés de le diffuser étaient bien supérieures à celles des partisans. Les réseaux qu’ils ont su activer à temps avaient un ancrage solide dans la population. Ils ont gagné parce que leur cause était bonne. Et les millions d’économiesuisse n’y ont rien pu changer.

Mais au delà du refus d’un dispositif inique et mal ficelé, les citoyens ont confirmé deux principes. D’une part, ils ont montré leur attachement à des structures de proximité. D’autre part, ils ont souligné la nécessité pour ces structures d’avoir les moyens de leurs politiques. Et, par ce double credo, ils ont à la fois pérennisé la notion de cantons tout en relançant la discussion sur la réforme du fédéralisme.

La proximité, tout d’abord, est une dimension vivante qui évolue au fil du temps. Elle se mesure moins en kilomètres qu’en espace de vie et en relation de confiance. Chaque jour davantage, par leurs activités au quotidien, leurs échanges et leurs déplacements, les habitants de ce pays dessinent ces fameuses régions plus vastes que les cantons dont les contours encore flous n’empêchent pas la substance intérieure de se développer. En outre, les questions politiques dont les cantons vont continuer à devoir se charger trouvent désormais leur résolution pertinente à l’échelon régional. A terme, nul n’imagine la santé, la formation, la sécurité gérées par vingt-six entités différentes.

En soutenant massivement les cantons, les citoyens les ont donc placés dans une situation paradoxale : ils ont validé leur rang, tout en les contraignant à chercher des solutions pour continuer à le tenir. Ils leur ont fait confiance, notamment dans leur capacité à s’adapter pour rendre les services attendus. Dans cette optique, le vote du 16 mai ne renforce pas le statu quo, mais uniquement le fédéralisme. Il donne la nature du système, sans préjuger des géométries dans lesquelles il doit s’exercer. En tout cas, la centralisation pure et simple semble écartée. Elle n’a aucune chance de résoudre la tension entre le maintien d’une forme de proximité politique et la nécessité pour celle-ci de rester efficace.
L’idée d’un fédéralisme vivant est provisoirement sauvée. Le paquet fiscal ne marquera pas le premier pas dans la transformation des cantons en simples zones administratives chargées d’exécuter les consignes de la Berne fédérale. Mais le combat continue. D’abord, parce que d’autres grands dossiers tels que la nouvelle péréquation financière entre cantons et Confédération approchent à grands pas. Ensuite, parce que, précisément, le maintien du fédéralisme implique sa réforme. Dans ce sens, les promoteurs d’une Suisse des régions sont les alliés des cantons, face aux menaces de centralisation.

Dans ce grand débat, entendrons-nous le Conseil des Etats ? Probablement pas. Sur son propre rôle, sa vision de l’organisation intérieure de la Suisse ou d’autres mécanismes fédéralistes tels que les scrutins à double majorité, le risque d’être saisi par ses analyses reste mince. Déconnecté des institutions cantonales, il n’est plus qu’un sénat où se jouent les mêmes pièces qu’au Conseil national. Il ne sort en tout cas pas grandi du dernier scrutin, puisque sans égard pour les vingt gouvernements cantonaux opposés au paquet fiscal, il a milité en majorité pour le oui. Nouveau paradoxe : au moment où les Etats fédérés reprenant du poil de la bête ont sonné la charge, la petite chambre sensée les représenter s’est inscrite aux abonnés absents.

Or, simultanément, la Conférence des Cantons monte en puissance et engrange une victoire significative. Certes, cette organisation n’a pas de reconnaissance institutionnelle. Mais, dans l’immédiat, c’est sa force. Sa marge de manoeuvre est plus grande. La qualité de ses propositions peut lui conférer la légitimité qu’elle n’a pas encore sur le terrain de l’officialité. Et si cette conférence a osé repositionner le débat sur l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne, qui dit qu’elle ne saura pas aborder celui de la Suisse des régions ? Avec quels effets ? Avec celui, majeur, de nantir la classe politique des vrais problèmes, tout en interpellant l’opinion.