Dénis suisses, vérités européennes

Deux siècles après le Congrès de Vienne, la Suisse traverse une crise qui la voit à nouveau fortement dépendante de l’Europe. En 1815, déchirée, au bord de la guerre civile, elle remet son destin entre les mains des « puissances européennes ». Aujourd’hui, elle aimerait bien que l’Union européenne lui donne la solution miracle, qui lui permettrait de transcender ses divisions.
Hélas, les temps ont changé. La balle reste désespérément dans le camp d’une Confédération incapable de dire ce qu’elle veut, après son acceptation de normes constitutionnelles attaquant la libre circulation des personnes. Toutefois, les entretiens que les dirigeants Européens accordent aux Suisses agissent comme autant de révélateurs. Si chaleureux qu’ils soient, ils dispensent un certain nombre de vérités, qui éclairent les dénis dans lesquels le pays s’est enfermé. En particulier:
1) Conformément aux mises en garde qui avaient été effectuées avant la votation du 9 février 2014, l’introduction de contingents ou de la préférence nationale ne sont pas compatibles avec le principe de la libre circulation des personnes, socle des accords bilatéraux conclu avec l’Europe.
2) Cette incompatibilité ne tient pas à des facteurs politiques ou diplomatiques variables, mais à la nature même de l’Union, qui est définie par un certain nombre de libertés créant un espace commun.
3) Connaissant ces faits, le Conseil fédéral a commis une faute grave, en ne s’engageant que mollement dans la campagne. Certains se sont battus, d’autres se sont abrités. Si l’exécutif avait bataillé avec ardeur, les dix mille oui de trop auraient aisément basculé dans le camp du non.
4) Bien qu’il ait perdu une votation stratégique, le Conseil fédéral n’a tiré aucune leçon de son échec. Douze mois ont été perdus en laissant croire aux citoyens qu’il serait possible d’appliquer l’article contre l’immigration, tout en renforçant la voie bilatérale.
5) Aujourd’hui, seuls les Suisses de mauvaise foi parlent de « négociations » avec l’UE, alors que le Président de la Commission vient de les exclure au profit d’un simple dialogue et qu’aucun mandat n’est en chantier côté européen.
6) Par conséquent, les contingents à géométrie variable et autres clauses de sauvegarde sont des bricolages sans avenir. Il n’y aura pas d’astuce permettant de bénéficier des accords bilatéraux sans accorder la libre circulation aux Européens.
7) De même, la tournée des vingt-huit capitales pour exposer les souffrances de la Suisse et tenter d’attiser les vieilles complicités anti Bruxelles n’a guère de sens, puisque la Commission a établi un dialogue direct.
8) Lucide, La Conseillère fédérale Eveline Widmer Schlumpf a tiré les conclusions qui s’imposent. En substance, elle a indiqué qu’un nouveau vote lui paraissait nécessaire pour sortir de l’impasse. Le 10 mai 2014 déjà, Les Etats généraux européens de Berne l’avaient affirmé avec force : seul un nouveau vote, clarifiant la décision du 9 février et protégeant la libre circulation des personnes avec l’UE, permettra à la Suisse d’éviter l’Alleingang.
9) L’attentisme ne conduira à rien. Plus le temps passe, plus l’incertitude augmente, plus l’économie se dégrade… et plus le Conseil fédéral perd pied. Sans tarder, la Suisse doit dire ce qu’elle préfère : renoncer aux accords bilatéraux ou renoncer aux dispositions qui les attaquent.
10) De manière plus fondamentale, la Suisse est à la croisée des chemins. Elle doit choisir entre l’isolement et une relation toujours plus étroite avec l’Union. L’illusion de pouvoir prospérer dans le marché européen et hors de ses règles est terminée.