Concordance ou cohérence, et s’il fallait choisir?

Donc, selon le dernier baromètre électoral GfS, les citoyens suisses veulent la concordance. On peut les comprendre. Pourquoi renonceraient-ils à un régime qui semble pouvoir harmoniser tous les courants d’idée? Pourquoi critiqueraient-ils un système dont on leur dit depuis un demi-siècle qu’il est parfait? Le problème est qu’ils souhaitent aussi des orientations claires. Sur la croissance économique, les retraites, l’AVS, la santé, la fiscalité ou l’Europe, ils attendent des réponses cohérentes. C’est légitime. A quoi servent les élus, si ce n’est à donner une direction sensée à la Cité?

Dès lors, comment réunir concordance et cohérence durant la prochaine législature? Cette équation tourmente les esprits, qui tentent fébrilement d’imaginer un Conseil fédéral arithmétiquement logique et politiquement tenable. Certains estiment que des alliances ponctuelles entre les extrêmes seraient concevables. D’autres pensent que souder un demi-éléphant à une demi-baleine par un estomac centriste ne donnera pas un monstre paralysé mais une sorte de nouvel ornithorynque politique qui nous sortira des blocages. On en vient à oublier l’essentiel, à savoir que la concordance ne se décrète pas, mais qu’elle dépend de conditions objectives.

Pour que des partis puissent gouverner ensemble, encore faut-il qu’une langue commune existe. Pour qu’un régime de concordance puisse fonctionner, encore faut-il qu’en amont la société soit consensuelle. Or, nous vivons dans une société d’affrontements. Affrontements entre production et répartition des richesses. Entre nouveaux marchés et précarisation de l’emploi. Entre mobilité créative et vies décomposées au bord du chemin. Une société d’affrontements n’engendre pas de convergences. Et sans convergence, le seul accord possible reste l’indécision. Concordance et cohérence vont de pair quand les entreprises sont prospères, les tensions sociales faibles et les partis enclins au consensus. Inutile de rêver. Ce temps n’est plus. Il faut choisir. Et si nous choisissons d’avoir deux Socialistes et deux Nationalistes à l’exécutif, nous aurons la concordance au risque d’une législature absurde et stérile.

Pourquoi ne pas envisager une coalition? A mon sens, une plate-forme PS-PDC-Radicaux représenterait non seulement la majorité des Suisses, mais aussi le camp des valeurs républicaines. Pourquoi ne pas oser en parler? Christiane Langenberger effleure le sujet dans Le Temps en souhaitant « une base minimale de gouvernement entre partis ». Mais elle se replie aussitôt face à la perspective d’un système d’alternance, en affirmant qu’un tel système est incompatible avec la démocratie directe. Opinion fort répandue. Mais sans fondement institutionnel. Rien n’oblige le Conseil fédéral à être en quelque sorte élu à la proportionnelle. Rien ne permet d’affirmer que la démocratie directe interdit une coalition élue sur un programme. Et si l’examen de cette question étonnement négligée devenait urgent?