La nouvelle droite et la fin du « modèle suisse »

Dans sa dernière livraison, L’Hebdo trace parfaitement le contour du désarroi helvétique. Les élections fédérales ont « affolé les boussoles politiques ». « Les appellations d’origine contrôlée » ne correspondent plus à rien. Les grilles d’analyse classiques de la démocratie suisse semblent inopérantes. Plus rien n’est sûr, sauf le besoin de changement d’un pays tétanisé par des institutions dépassées et par de profonds courants nationalistes.

L’Hebdo a donc été bien inspiré de partir à la recherche de ce fameux « camp des réformes », qui depuis une décennie fait si cruellement défaut. Mais l’a-t-il trouvé? S’agit-il de cette « nouvelle droite libérale et créative » dont l’émergence nous est contée? Dans un présent décomposé où la prévision tient de la cartomancie, Ruedi Noser est-il vraiment l’as d’atout? Les jeunes pousses du radicalisme ont-elle une chance de grandir sans devoir renier leurs convictions? Les bruits qui viennent de Zurich n’indiquent-ils pas plutôt un « passage au Kärcher » des derniers centristes radicaux? Quant à la gauche, a-t-elle perdu toute capacité d’innovation? Sa marginalisation dans le système actuel ne va-t-elle pas l’inciter à élaborer de nouvelles visions?

Demain, qui conduira les réformes? Impossible de répondre sans d’abord les situer. Ce sont elles qui permettent de mesurer l’aptitude des personnes à dicter le changement. Elles qui départagent les conservateurs des rénovateurs. En Suisse aujourd’hui, quatre grands thèmes agissent comme autant de bains révélateurs, dans lesquelles il est possible de tremper les politiciens pour voir s’ils portent les couleurs brillantes de l’avenir ou celles, jaunâtres, du siècle passé.

Les institutions sont la première solution chimique dans laquelle il convient de plonger les élus. Rien ne peut changer dans ce pays sans une réforme institutionnelle profonde. Au fil des crises, le système est devenu si autobloquant que son adaptation représente désormais un préalable au développement de tout programme politique. Il ne s’agit pas d’enjoliver les fonctionnements actuels par quelques nouveautés, mais d’apporter les réponses pertinentes et fortes à la désagrégation du politique générée par les mécanismes en vigueur.

Deuxième bain, avec le populisme. Personne n’a la moindre chance de contribuer aux réformes sans avoir le courage d’affronter les fantasmes populaires. Le respect de la primauté du droit sur la démocratie directe, dont d’ailleurs elle dépend, la volonté d’entraîner le peuple plutôt que de le flatter servilement sont des qualités essentielles pour piloter le changement.

L’Europe est le troisième révélateur. La Suisse ne quittera jamais son passé sans quitter son isolement. Au-delà de l’accès au pouvoir de co-décider, l’entrée dans l’UE est la seule rupture décisive avec un immobilisme mortifère. Qui parle d’avenir n’a d’autre choix que de demander simultanément l’adhésion.
Enfin, la capacité d’imaginer un nouveau contrat social constitue le quatrième test. La confusion, les craintes et les blocages ne se dissiperont pas sans une pacification des fronts économiques et sociaux. Les mesures sectorielles n’y suffisent plus. Les provocations et les mobilisations qui en découlent sont stériles. Il est temps d’élaborer un vrai contrat social prenant en compte les attentes de l’économie, les nouvelles formes du travail, la protection et la santé des personnes, la solidarité et les évolutions sociétales.

Que disent ces exigences des électrons libres de la « nouvelle droite »? Sont-ils vraiment tous des réformateurs? Leurs idées sont-elles plus vivaces que leur désir de faire carrière? Certains ne sont-ils pas déjà en train de s’aligner sur le néo-nationalisme ambiant et les ukases de la place offshore?

Et de quelle couleur sort le bouillonnant Ruedi Noser de ces trempages successifs? A-t-il conscience du renouveau institutionnel nécessaire? Peut-il découpler les radicaux des dérives nauséeuses de l’UDC? Veut-t-il être pro-actif en matière d’intégration européenne? A-t-il une perception fine de l’attente citoyenne en matière de contrat social? Pour sortir du marasme, ce qui compte, c’est moins le neuf que le global. C’est la logique de la vision qui lui donnera sa force. Echanger la collection des clichés alpins contre la panoplie des postures modernistes n’a pas de sens, s’il n’y pas en amont un projet de société.

Les catalogues d’idées sont utiles quand ils répondent à un diagnostic préalable. Les radicaux postulent-ils la fin du « modèle suisse »? Pensent-ils à sa rénovation complète? Ou travaillent-ils simplement au lifting de leur image de notables décatis? L’avenir le dira.

De l’institutionnel au social, le projet qui remettra la Suisse en mouvement implique une recherche structurelle d’une meilleure cohérence politique et l’ouverture d’un débat citoyen sur une nouvelle dynamique socio-économique. Soit un renversement progressif des courants d’opinion dominants. En clair, l’inverse d’une opération marketing.