Pour une vraie leçon de démocratie européenne

« Donner une leçon de démocratie à l’Europe », telle fut l’ambition d’Alexis Tsipras en organisant un référendum sur ses négociations avec ses créanciers.

Certes, nul ne conteste le droit des citoyens de se prononcer sur leur avenir ! La Grèce est exsangue. Elle étouffe sous une dette qu’elle ne peut rembourser. Une cure d’austérité drastique a mis son économie au tapis. Les drames sociaux se multiplient. Une sortie de crise devient chaque jour plus urgente. A l’évidence, la volonté populaire ne saurait être écartée de la recherche de solutions équitables et efficaces.

Toutefois, si la démocratie joue un rôle clé dans une société en danger, son exercice n’est pas sans exigence. En particulier, le recours au vote direct du peuple réclame de nombreuses précautions. Premièrement, la question posée doit être claire, stabilisée, susceptible de faire l’objet d’une information compréhensible. Deuxièmement, les partis, les associations, les médias et les citoyens doivent avoir le temps de développer leurs arguments, débattre et se faire une opinion. Troisièmement, condition essentielle pour que le peuple ne soit pas abusé, il est impératif que les principales conséquences d’une approbation ou d’un rejet soient connues.

Malheureusement, la démarche de M. Tsipras n’a pas satisfait à ces exigences. La question posée touchait une négociation en cours. L’opération fut conduite à la hussarde. Les conséquences réelles d’un oui ou d’un non étaient parfaitement ignorées, même du gouvernement. Dès lors, quel pouvoir a reçu le peuple grec, sommé de choisir entre deux chemins dont personne ne pouvait dire où ils menaient ?

En fait, le premier ministre grec n’a pas organisé un référendum, mais un plébiscite. Il n’a pas confié à son peuple une prise de décision, mais a exigé de sa part un acte de foi. Il ne lui pas donné la parole, mais a utilisé sa voix pour renforcer la sienne, dans une volonté d’augmenter son propre pouvoir. Cette instrumentalisation brutale est violente. Elle met les citoyens au service du gouvernant et non l’inverse. Elle les conduit en outre à cautionner l’inconnu. Quel sera l’état d’esprit des votants qui ont cru mettre fin à l’austérité si elle perdure, soit parce qu’Alexis Tsipras finit par accepter les demandes des créanciers, soit parce que la Grèce, même allégée de ses dettes, ne sort pas de la crise économique ?

Par ailleurs, le gouvernement Tsipras a organisé une asymétrie dangereuse entre un peuple grec présenté comme pur, juste, noble, victime, humilié et des dirigeants européens qualifiés d’arrogants, prédateurs, criminels. Déchaîné, il n’a pas craint d’assimiler les représentants des institutions créancières à des terroristes. Manichéen, il a peint d’un côté des prolétaires en révolte, de l’autre des élites illégitimes. Or la crise actuelle n’oppose pas un peuple à des bureaucrates, mais des peuples aux intérêts tous respectables. Dans cette optique, chaque Etat membre de l’Union peut organiser les votations qui lui conviennent, mais en restant conscient que leurs résultats ne s’appliquent pas automatiquement aux autres. Hélas, avec un simplisme attristant, la dramaturgie grecque a effacé les Portugais, les Italiens, les Français, les Polonais et tous les autres Européens. Quant aux Allemands, ils n’ont pas semblé constituer un peuple, ni même des êtres humains. Leur existence a paru réduite à une « puissance néolibérale » ou à la « dictature Merkel ». Question embarrassante, quelle serait l’attitude des travailleurs allemands si, par souci de démocratie, leur gouvernement les interrogeait sur la gestion de la dette grecque ?

Il est significatif que le plébiscite de M. Tsipras ait suscité l’enthousiasme de la gauche radicale, notamment française. Pour elle, la démocratie se résume à renverser la table, monter aux barricades, prendre la Bastille. De manière romantique, elle limite la participation du peuple à la séquence où il dépose le roi, pour ceindre à sa place la couronne de souverain.

Toute autre est la vraie démocratie. Pacificatrice, elle commence après la guerre, pour que celle-ci ne se reproduise plus. Mesurée, elle ne dresse pas les citoyens contre leurs dirigeants, mais organise leur dialogue. Permanente, elle dépasse l’addition de scrutins, pour instaurer un processus complexe de discussions et de consultations. Protectrice, elle construit des majorités, sans écraser les minorités. Humble, elle régit un territoire, tout en reconnaissant la valeur des démarches similaires autour d’elle. Vivante, elle encourage l’affrontement passionné des idées et des programmes, mais écarte par principe la violence.

Une telle culture de la décision collective, toujours turbulente, jamais destructrice,  fait encore défaut à l’échelon européen. Le Parlement et les autres instances démocratiques n’ont pas transcendé les invectives nationales. Or, sur notre continent, la défense des intérêts légitimes des peuples peut s’effectuer dans le respect d’une conscience européenne forte. La crise grecque livrera-t-elle demain cette vraie leçon de démocratie ?