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Bienvenue aux banquiers pro-européens !

« Nous allons voter pour des gens qui n’auront pas parlé d’Europe ! » a déploré Patrick Odier, dans Le Matin Dimanche du 27 septembre. Juste, l’indignation du président de l’Association suisse des banquiers interrogé par Ariane Dayer, rédactrice en chef, est légitime. Tristement, la question européenne est la grande absente de la campagne électorale, alors que le destin de la Suisse sur son propre continent se jouera durant la prochaine législature.
Toutefois, cette belle lucidité venant d’une corporation qui a largement contribué au marasme actuel ne manque pas de piquant. Pendant des années, les banquiers n’ont guère parlé d’Europe, si ce n’est pour la vilipender. Dans leurs analyses, l’intégration constituait souvent une attaque insupportable du secret bancaire, source éternelle de prospérité et fondement identitaire de la Confédération. Sur la place publique, ils célébraient volontiers l’action de l’UDC, tout en fustigeant les partisans de l’ouverture, traitres à la place financière.
Aujourd’hui, les apprentis sorciers qui ont désinhibé les nationalistes ne les contrôlent plus. L’europhobie a passé dans l’ADN citoyen. La Suisse a brisé la libre circulation des personnes en votation. Le naufrage des accords bilatéraux et l’isolement du pays sont devenus des risques réels.
« Nous n’avons pas réussi à faire comprendre à chacun, individuellement, en quoi les relations avec l’Union européenne sont un avantage dans sa vie quotidienne » ajoute Patrick Odier. Exact, cette pédagogie devient une priorité absolue pour avoir une chance d’éviter l’isolement lors d’une prochaine votation. Bienvenue aux banquiers sur un vaste chantier sociétal, que les pro-européens n’ont jamais délaissé, malgré les critiques et leur manque de moyens.
Autrement dit, il est impératif de reconstruire un discours clair et audible, qui valorise sans ambiguïté le projet européen. Le vieux truc du Conseil fédéral consistant à demander aux citoyens de dire « oui à un accord limité » pour mieux dire « non à une Europe menaçante » ne fonctionne plus. Cette tactique perverse n’a servi qu’à nourrir un ressentiment, dont le 9 février 2014 a montré l’ampleur.
Ultime précision, le nouvel élan en faveur de l’intégration européenne ne doit pas se limiter à vouloir « sauver les bilatérales », par une quelconque astuce juridique. Il convient au contraire de promouvoir des relations étroites avec l’Union, qui n’excluent pas à terme une participation politique pleine et entière de la Suisse.
En effet, la relation bilatérale est morte dans sa forme actuelle. L’empilement d’accords sectoriels et statiques n’a plus d’avenir. Nos partenaires ne signeront plus aucune convention sans un nouveau cadre institutionnel transversal, sécurisant de manière globale la reprise et l’interprétation du droit européen.
Conscient que les temps ont changé, le Conseil fédéral a fait d’un tel accord-cadre son nouvel objectif. Mais ce cœur artificiel verra-t-il le jour ? Techniquement, ses mécanismes ont bien des chances de réduire définitivement la Suisse à un membre passif de l’Union. Politiquement, son acceptabilité paraît mince pour des citoyens qui ont déjà mis à mal le statu quo.
Au final, ce fameux accord-cadre risque d’être à la voie bilatérale ce que la stratégie Rubik fut au secret bancaire : une tentative de rappeler à la vie un cadavre, que même une foi ardente ne pouvait matériellement faire sortir du tombeau.
Demain, la Suisse n’aura peut-être plus que le choix entre deux options : l’isolement ou l’adhésion. Un tel dilemme pourrait se présenter, même si l’opinion le craint par dessus tout. Le PLR refuse catégoriquement de l’évoquer, comme si le seul fait de le nommer favorisait son apparition. Il fait de l’accord-cadre le Saint Graal, dont la quête interdit toute autre démarche. Ce credo est d’ailleurs un indice supplémentaire, révélant que la cause est douteuse.
Banquiers, entrepreneurs, intellectuels, artistes, chercheurs, citoyens, associations, partis, de gauche ou de droite, toutes les forces peuvent concourir à lutter contre un isolement de la Suisse devenu un réel danger. Mais rien d’utile ne sera fait, si le discours européen est enfermé dans un juridisme étriqué ou dans l’illusion d’un éternel non-choix. Ces artifices ont forgé l’échec actuel. Leur éradication est un préalable au succès.