Initiative des quotas : la double révolution des femmes

Plus on observe les débats suscités par la votation concernant la représentation des femmes dans les autorités fédérales, plus on découvre, au delà des enjeux du 12 mars, une transformation sensible dans la vision de la parité. Mutation sur deux plans, qui fait de l’initiative dite des quotas, non pas un simple objet technique, mais bel et bien l’illustration d’une sorte de double révolution.

D’une part et de manière claire, on quitte le terrain de la revendication des droits pour gagner celui de leur mise en application. Les principes ont été acquis, de haute lutte. Reste à changer la réalité. Toute la réflexion des initiant-e-s souligne avec pertinence la nécessité de mettre en place des instruments politiques volontaristes pour développer une société où une réelle égalité des chances entre hommes et femmes soit un jour vécue. Dans cet esprit, les quotas d’élu-e-s ne sont pas présentés comme une fin en soi, mais comme un moyen parmi d’autres d’atteindre un but supérieur qui, lui, ne semble pas contesté. L’argument est imparable. Parce que dans l’histoire de l’humanité, jamais un droit ou une liberté fondamentale n’a pu être exercée sans le recours à des mécanismes contraignants. En fait, l’orientation du débat est en train de changer en profondeur. Le temps n’est plus aux justifications, mais à la mise en oeuvre des justes mesures.

D’autre part et simultanément, on quitte la vénération des principes révolutionnaires de 1789, perçus comme une approche philosophique idéale. En France, les discussions sont révélatrices. A Elisabeth Badinter qui défend un universalisme des droits de l’Homme intangible et indifférentiable, Sylviane Agacinski-Jospin oppose une mixité des droits de la personne humaine. Avec force, cette dernière rappelle que la Révolution n’a pas donné les droits civiques aux femmes, et que  » le citoyen  » de l’époque est exclusivement masculin. A son avis, il convient d’accepter que  » l’humanité est universellement sexuée « . L’être abstrait, théorique, postulé par une vision rejetant ce particularisme n’existe donc pas. En réalité, cet être asexué s’est toujours incarné dans la population mâle. Le tournant est pris. Les acquis révolutionnaires sont en train de s’enrichir d’une révolution culturelle. La mixité de l’espèce humaine impose progressivement l’organisation mixte de ses sociétés.

A terme, pourquoi ne pas imaginer des instances composées d’un nombre égal d’hommes et de femmes élu-e-s, par exemple, sur des listes indépendantes ? Chaque siège aurait alors la même valeur, chacune et chacun la même chance, dans un processus équitable et serein. Concrètement, la France vient d’adopter une loi sur la parité qui impose aux partis politiques la candidature de 50% de femmes aux élections. Pourquoi la Suisse, qui se veut championne toute catégorie de la démocratie universelle, ne prendrait-elle pas une longueur d’avance ? Rêvons un peu. Le 12 mars, aux mécanismes de la proportionnelle qui garantissent aux minorités l’accès au pouvoir, nous ajouterions ceux donnant enfin aux femmes le respect de leurs droits les plus légitimes, où serait le problème ? Celles et ceux qui frémissent d’indignation en dénonçant des artifices faussant le jeu démocratique se trompent et le savent. Qui conteste la validité de l’élection d’un Zougois, alors qu’elle représente infiniment moins de suffrages que celle d’un Vaudois ? Qui conteste le siège d’un petit parti, sachant qu’il n’a pas le même poids que celui d’une grande formation ? Mais surtout, par définition, la parité n’avantage ni ne prétérite personne. Elle protège tant les droits des hommes que des femmes. De quoi ont peur ceux qui garderont de toute façon la moitié du pouvoir, si ce n’est de le partager ?  » Les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droit  » murmurent les temps nouveaux. Trouveront-ils dans ce pays un premier écho ?