Citoyens perdus dans pays sans projet

Comment voir l’état du politique, si ce n’est en faisant un pas de côté? Oubliant les acteurs de la campagne, je suis parti à la recherche de citoyens intéressés par les élections fédérales et n’appartenant pas au sérail. Peut-être suis-je maladroit, mais en général je n’ai rencontré qu’indifférence ou indignation.

Indifférence des hédonistes dont le sourire compatissant semble dire: « La politique? mon pauvre, vous en êtes encore là? » Attentifs à leurs seuls besoins ou construisant la paix dans le monde par leur équilibre intérieur, ils ne laissent aucun argument les détourner de leur quête personnelle. Indifférence des aquabonistes qui laissent tomber: « De toute façon, ils ne font que ce qu’ils veulent. » Et rien ne parvient à les convaincre que la démocratie directe met au contraire le pouvoir dans leurs mains. Ceux-là aussi sont perdus pour les urnes. Le découragement vous saisit, quand soudain une personne vous coupe au milieu de votre question. Enfin un interlocuteur! Vous vous réjouissez. A tort. Parce que le flot de paroles indignées ne s’arrête plus. Imprécations contre la mondialisation, les Etats-Unis, l’Europe, les riches, les patrons, les zurichois, les étrangers, les jeunes, les drogués, les chômeurs, les politiciens, les partis, les syndicats, les journalistes, chaque indigné a sa cible. Certains les combinent d’ailleurs, avec une belle énergie peu soucieuse des contradictions. Ces révoltes se traduiront-elles en suffrages? En tout cas, elles ne portent ni espoir, ni proposition pour construire l’avenir. Excluant l’analyse, l’indignation semble étouffer par sa virulence les solutions qu’elle devrait appeler de ses vœux.

Face au désarroi de l’opinion, retour à la campagne. Pour y chercher des réponses, des pistes, un élan. Hélas, le spectacle n’incite pas à l’optimisme. La droite nationaliste recuit sa vieille soupe nauséeuse en lançant deux nouvelles initiatives visant les étrangers. Sous la houlette de Pascal Couchepin, ceux qui se disent centristes paraissent se contenter d’être les commis voyageurs d’économiesuisse, des assurances ou de la place financière. Et la gauche est entrée en résistance. Cela donne des bribes de programme, des flèches qui se croisent, des invectives sans vision ni lendemain. Partout manque l’essentiel. Un projet pour la Suisse. Un projet qui, sans catéchisme ni langue de bois, établisse les raisons d’être ensemble, nos rapports au monde, les objectifs poursuivis en commun et les moyens d’y parvenir. Pas de projet, pas de citoyen au sens républicain du terme. Et ce vide annonce le déclin d’un système politique et social paralysé. Un déclin que la résignation finit par retourner en valeur positive. On le sent. On le voit. On le nomme. On l’accepte. On s’y fait. On s’y réchauffe. On s’y rattache, faute de véritables liens. Il est un signe des temps. Une fatalité. Un point de ralliement. Une forme d’appartenance. En Suisse, le déclin est un projet. Le seul.