Adieu petit village

Tant de Suisses voudraient que tout s’arrange. La gauche a gagné, les nationalistes ont gagné. A eux les places, puisque le peuple le veut. Oublions les querelles. Trouvons les bonnes personnes susceptibles de gouverner ensemble. Certains veulent des personnalités fortes, soit pour les neutraliser par l’exercice du pouvoir, soit pour avoir un Conseil fédéral énergique. D’autres imaginent des politiciens plus ronds, pour atténuer les divergences. Tous ont leurs favoris et leurs exclus.

Cette volonté de réduire des choix qui dérangent à des hommes qui s’arrangent finit par être touchante. Elle illustre la nostalgie du pays pour des pratiques villageoises. D’une certaine manière, les institutions fédérales se sont construites par la projection dans l’espace et le temps d’institutions locales. Elles n’ont pas connu de correctifs qui les établissent dans des fonctionnements lisibles et crédibles à l’échelle nationale. Ce n’est donc pas une surprise si la vie politique tend à retourner d’où elle vient. Ainsi, la plupart du temps, le destin de la Suisse est affaires cantonales. La politique cantonale affaires communales. Et la gestion communale affaires de personnes. Dans cette optique, la composition du gouvernement se réduit à la sélection des braves capables de fabriquer n’importe quel accord à n’importe quel prix.

En affirmant à la RSR que « la concordance fait partie de l’identité suisse », Christiane Brunner ne dit rien d’autre. Malheureusement, son approche n’est plus conforme à la réalité. L’identité évolue sans cesse. Elle se laisse plus facilement saisir au passé qu’au présent. Et qui défend un concept en son nom défend souvent ce qui vient précisément de disparaître. De plus, la Suisse est plongée dans des affrontements durables. Et sauf à faire de la concordance une reddition face à la place financière suisse, on peine à voir des accords rassemblant l’échiquier politique.
Enfin, nous sommes entrés dans la société de la communication qui par nature polarise l’opinion. Forte des nouvelles technologies, omniprésente et omnipotente, la communication interpelle les esprits. Sans répit, elle oblige à se positionner. Sur chaque sujet, elle contraint à choisir son camp. Impossible de s’en abstraire pour des politiques qui d’ailleurs en utilisent tous les ressorts. Mais on ne peut obtenir le pouvoir par la force de son image et le garder par sa négation. Impossible de crier stop. C’était pour rire. Nos adversaires sont nos partenaires. Nous allons nous entendre. C’est juste une question de personnes. A terme, l’exigence de clarté va l’emporter sur le besoin d’harmonie.
Dans un pays qui constitue un prototype de société post-industrielle, les Suisses s’acharnent à préserver une organisation de type industriel, tout en s’accrochant encore aux institutions d’une société rurale. Fossé cruel. Les braves tomberont dedans. Il ne suffit plus de s’asseoir autour d’une table pour qu’un gouvernement existe. Adieu petit village.