Chaos solennel

Ils avaient l’air grave. Celui de ceux qui n’ont rien à dire, mais chargent ce rien de faire date. « Nous voulons la concordance » ont-ils affirmé. « Toutefois, nous ne sommes d’accord que sur la volonté de concorder » ont-ils précisé doctement.
Au sortir du Café des Amis, les présidents des quatre partis gouvernementaux auraient pu tout aussi bien s’exclamer « nous adhérons ». Et aux cris de « mais à quoi adhérez-vous? à une idée? à un projet ? à une société? à un revêtement? » ils auraient pu répliquer « nous adhérons à l’adhésion ». Au plan du sens, le résultat aurait été le même.

Nous choisissons le pouvoir, nous supprimons le programme. Face à une telle hémiplégie politique, les journalistes ont insisté, quémandant la moindre information sur le contenu et les objectifs de cette fameuse concordance. Deux étranges réponses leur furent finalement données.

« Nous concordons parce que le pays veut la concordance » fut la première. Vraiment? Comment savoir puisque la question n’a jamais été posée? Les élections n’ont-elles pas plutôt montré l’échec du flou au profit de la netteté? Depuis des années, ce pays ne cherche-t-il pas à clarifier ses orientations? N’est-il pas davantage en quête de cohérence que de concordance?

En tout cas, le principe de concordance n’intéresse l’opinion que s’il s’accompagne du principe de transparence. Et ceux qui se disent contraints par nous d’aller ensemble au pouvoir nous doivent des informations. Qu’ils répondent au besoin de clarté manifesté dans les urnes. Sur au moins deux options fondamentales, nous voulons savoir. Les quatre gouvernails autonomes dont ils veulent équiper la barque gouvernementale vont-ils nous orienter vers une communauté solide et solidaire ou vers une déconstruction systématique de l’Etat? A terme, allons-nous rejoindre l’Union européenne ou sanctifier définitivement la place offshore? Que les concordants définissent et fassent connaître les grandes lignes du concordat. Nous attendons. Nous avons voté. La prérogative du parlement est de constituer une équipe à partir de ce que nous avons exprimé. Notre droit est de connaître au moins la finalité qui la porte.

Quoi? Ils vont se taire? Ils ne parleront plus politique? Toutes leurs stratégies visent à contrôler le jeu des chaises musicales du 10 décembre? Toute leur énergie tend à régler l’accès à la soupe sans se demander de quoi elle sera faite? Pour ce faire, certains sont prêts à nier leur propre raison d’être? Pourquoi? Pour le bien du pays?

« Nous concordons pour éviter le chaos ». Telle fut la deuxième justification donnée aux médias. Désarmante illusion. Au sens littéral du terme, le chaos désigne « le vide avant la création ». Or, les amis du Café des Amis veulent précisément entrer dans un incommensurable vide politique qui suscitera un jour ou l’autre la création de nouvelles institutions. Par définition, leur concordance est chaos. Et leur solennité dérisoire.