La paix exige un soutien sans faille de l’Ukraine

Lettre ouverte au président de la Confédération

Monsieur le président,

Rien n’est plus précieux que la paix, mais rien n’est plus fragile. Elle n’est pas le fruit de l’endormissement des peuples, mais dépend au contraire de leur extrême vigilance face aux idéologies et aux tyrans qui se nourrissent de la guerre. Elle ne s’instaure pas en cédant aux agresseurs, mais en leur résistant avec une force telle que leurs attaques deviennent inopérantes. Elle ne surgira pas d’une table ronde magique qui apaiserait soudain la Russie par l’octroi de territoires sacrifiés, mais par une solidarité durable des démocraties rendant la poursuite de l’invasion actuelle trop coûteuse et la préparation d’autres offensives impensable. Autrement dit, le soutien sans faille de l’Ukraine est le meilleur moyen de travailler à son retour.

Or, Monsieur le président, vos récents messages semblent donner un autre éclairage. Sur un thème majeur qui engage la Confédération, je ne doute pas que votre vision exprime celle du collège. A vous entendre, la majorité du Conseil fédéral souhaiterait donc placer la Suisse au-dessus de la mêlée. Elle aurait vocation à privilégier une neutralité excluant la réexportation de matériel militaire, pour se tenir à disposition de forces qui pourraient désirer un jour ses bons offices. Elle ne devrait pas modifier ses fondamentaux, pour servir de repère géopolitique dans la tempête actuelle.

Hélas, en tentant d’installer notre pays hors de l’Histoire, le Conseil fédéral choisit d’enfourcher un cheval mort. Nul ne prête à la Suisse une vertu spéciale l’établissant en juge suprême de la guerre et de la paix. Nul n’attend d’elle une retenue précautionneuse dans la perspective de sa prochaine et inéluctable médiation. Nul ne croit à l’existence d’une neutralité pure, sans arrière-pensée, qui aurait une valeur éthique et opérationnelle supérieure à la solidarité avec une démocratie défendant héroïquement sa liberté contre une dictature impérialiste.

Au plan intérieur également, le refuge sur un Olympe au-dessus des tragédies qui bouleversent l’opinion est impossible. Le concept du Sonderfall helvétique est décédé depuis longtemps. C’est la génération de René Felber et Jean-Pascal Delamuraz qui l’a enterré. Vos prédécesseurs ont montré combien les défis et le destin de nos voisins étaient définitivement les nôtres. Et même si la Suisse n’a tiré que des enseignements partiels de leurs analyses, elles sont encore plus pertinentes aujourd’hui. D’ailleurs, au fond d’eux-mêmes, nos concitoyens le savent bien. La guerre est de retour sur notre continent. Les régimes autocrates menacent nos libertés. Nous ne pouvons pas nous extraire de ce champ de bataille.

Dans ce contexte, la seule attitude intenable est l’immobilisme. Les fondamentaux évoluent en permanence. Telle pratique ancrée dans les siècles devient soudain obsolète. Et ce sont les crises qui exigent la relecture des grammaires qui paraissaient éternelles. Autrement dit, la réexportation de munitions devrait être autorisée. La vente de chars d’assaut inutilisés aux pays de l’Otan pour remplacer ceux donnés à l’Ukraine fait sens. Un pays qui n’a pas reçu les moyens de survivre n’a plus besoin de médiation. Son sort est réglé.

En 2021, à la surprise générale, le Conseil fédéral a rompu unilatéralement la négociation de l’accord-cadre européen. Cette erreur stratégique n’a pas été réparée. Demain, il ne commettra pas la faute historique consistant à rompre la chaîne de soutiens matériels permettant à l’Ukraine de se défendre. Je suis persuadé, Monsieur le président, de votre attachement profond à la défense de l’intérêt général et des valeurs européennes. Cet engagement implique une Suisse non pas au-dessus de la mêlée, mais aux côtés de ceux qui se battent à nos portes pour la victoire de la démocratie. Votre action dans les débats à venir peut servir cette ambition, que je pense partagée par la grande majorité de nos compatriotes.

C’est dans cet espoir que je vous prie de croire, Monsieur le président, à l’assurance de ma haute considération.